Anciennement nommé rhus, l’arbre à laque tenait en son nom la racine indo-européenne sreu-, « couler », telle la sève laiteuse s’écoulant de l’écorce scarifiée par les peuples anciens, dont dérive en sanskrit sarasvati – la déesse-fleuve – puis, plus proche de nous dans l’espace et le temps, le mot rivière.

Son appellation japonaise – urushi- garde encore la trace du voyage millénaire de cette essence de son Himalaya originel à travers l’Asie jusqu’à l’Extrême-Orient ; des échanges culturels de l’Inde védique aux peuples des steppes, des premières dynasties chinoises au Yayoi nippon.

Sous l’influence d’une Chine voisine puissante, sophistiquée et admirée, le Japon antique découvre le bouddhisme zen, le taoïsme et le confucianisme. Sa culture s’imprègne de ces philosophies nouvelles de la vacuité, les amalgamant harmonieusement à son héritage animiste shinto.

Le courant médiéval spirituel et esthétique wabi sabi en émerge, alliance de deux principes : la plénitude dans l’humilité et la conscience de l’absoluité du Temps qui fait (les Hommes, les savoirs…) et défait (par l’action de la Nature, des phénomènes naturels, des saisons, des éléments…).

Portée par l’art du chadō, la technique du kintsugi qui lui est associée en est une des expressions par excellence : allégorie de la compréhension par l’esprit de la vacuité des choses, et du sentiment indicible que cette saisie génère dans l’âme.

Fulgurance toujours soudaine et furtive – telles les flammes du foyer d’hiver se réfléchissant à la surface des lignes métalliques du bol –, éclair fendant l’ombre baignant la pièce un bref instant, fracture infime dans l’immanence du Temps, semblable à l’existence humaine et à toute chose.

Vision poétique d’une perfection impossible, d’une totalité inaccessible parce que n’existant en soi.

À rebours de ce que l’on peut entendre de son objet, le kinstugi n’a pas pour visée la réparation pour elle-même, dans le sens d’une unité retrouvée où la matière et l’idée gagneraient sur l’inéluctabilité du temps. Il est tout au contraire un art de modestie, de conscience et d’acceptation.

Il n’est pas non plus mystique : si l’or est privilégié, ça n’est pas pour sa richesse et sa rareté mais simplement parce qu’il ne s’oxyde pas au contact de l’eau. Kin, « or » ou plus généralement « métal », substance réfléchissante propre à trancher avec la surface souvent terne, sombre et rugueuse des bols façonnées en ce temps.

L’essence du kintsugi, c’est le clair-obscur qui ramène le manque fondamental dans le champ de vision par le biais de la fracture. Ni apologie du plein, ni apologie du vide, il ne cherche ni à voiler ni à magnifier la faille qu’il révèle.

Non plus même enseignement, il est simple tentative de retranscription dans la matière d’une expérience existentielle profonde, intime et indicible, en jouant de la lumière et de l’ombre.

Begin typing your search term above and press enter to search. Press ESC to cancel.